this post was submitted on 10 Jul 2024
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[–] Klaq@jlai.lu 5 points 4 months ago (1 children)

L'échange

Réélu de justesse, dimanche 7 juillet, dans la 1re circonscription de la Somme face au Rassemblement national (RN), le député François Ruffin pose un regard critique sur La France insoumise (LFI), la formation politique qu’il a quittée avant le second tour des élections législatives. Appelant à ne pas opposer « la France des bourgs et [celle] des tours », il accuse son ancien parti d’avoir sciemment abandonné les campagnes populaires et les terres ouvrières, pour se concentrer uniquement sur la jeunesse et les quartiers.

Comment analysez-vous les résultats des législatives. Est-ce vraiment une victoire de la gauche ? Au soir des élections européennes, le 9 juin, la gauche était en miettes, le moral dans les chaussettes. Qu’avec un « Soyez unis », un « Front populaire », on parvienne en quatre semaines à rallumer la lumière, c’est un espoir. Mais, au risque de jouer le rabat-joie, je dis : « Attention, c’est un sursis. » Il y a un effet trompe-l’œil. Le mode d’élection, les institutions ont contenu la poussée du RN, mais la vague est puissante.

Ma Picardie a élu treize députés d’extrême droite sur dix-sept, c’est pire dans le Pas-de-Calais. Et 57 % des ouvriers ont voté pour le RN dès le premier tour. Perdre les ouvriers, c’est très grave pour la gauche : ce n’est pas seulement perdre des voix, c’est aussi perdre son âme. Et, dans ma circonscription aussi, il faut l’énoncer avec lucidité, je recule de 8 points en deux ans.

Cette difficulté, je l’avais identifiée dès 2022, dans mon livre Je vous écris du front de la Somme [Les Liens qui libèrent]. La gauche souffrait de trois « trous » : un trou géographique, la France des bourgs ; un trou démographique, les personnes âgées ; un trou social, les salariés modestes. Mais cette alerte n’a servi à rien. La situation a empiré, et même basculé.

Comment avez-vous vécu la campagne ? Dans la douleur. D’un côté, il y avait la force d’attraction du RN : en face de moi, le candidat, c’était Jordan Bardella. Pour bien des gens, Marine Le Pen et lui incarnent le changement. Et, de l’autre côté, une force de répulsion. Pendant trois semaines, nous avons porté notre croix, un sac à dos rempli de pierres, on s’est heurtés à un mur, à un nom : « Mélenchon, Mélenchon, Mélenchon. » Avec le profil de la gauche, de LFI, ces deux dernières années, je savais qu’on perdait du terrain. Mais je pensais que ma figure, localement, servirait de paratonnerr

Eh bien non, cela ne suffit pas, ni à Sébastien Jumel [député sortant communiste (PCF), qui s’est incliné en Seine-Maritime], ni à Fabien Roussel [secrétaire national du PCF, qui a perdu dans le Nord], ni à d’autres. C’était presque comique : les gens me disaient « on adore tes discours, c’est formidable », « attends, j’appelle ma femme, on va faire un selfie », et à la fin, contre Macron et Mélenchon, ils votaient Bardella !

Vous avez annoncé quitter LFI juste avant le second tour. Pourquoi si tard, alors que vous étiez déjà en désaccord avec Jean-Luc Mélenchon ? Parce que j’avais porté le Front populaire, l’unité de la gauche, je me devais de les préserver. Mais, avec Jean-Luc à la télé tous les deux jours, ça nous étranglait. Même tard, il fallait que je coupe la corde pour pouvoir respirer. Et dès cet instant ça a tout changé, ça nous a libérés, on a regagné des voix par centaines.

La gauche a donc failli dans les zones d’expansion du RN ? Elle a fait le choix de l’abandon. En 2022, alors que l’Assemblée nationale accueillait 89 députés RN, Jean-Luc Mélenchon déclarait, texto : « De toute façon, ces terres-là n’ont jamais accepté la démocratie et la République. » Ça m’a stupéfié. Car quels sont ces endroits ? Le Pas-de-Calais, la Picardie, le Midi rouge, qui pendant un siècle ont envoyé des députés communistes et socialistes dans l’Hémicycle.

Du coup, très inquiet, je sors un petit livre, j’interroge : « Les bastions comme les miens, on en fait quoi ? On les renforce, ou on les abandonne ? » Ça n’a pas suscité de débat, seulement des attaques, comme quoi j’étais un « adversaire des quartiers populaires ». Pas du tout : je veux additionner, pas soustraire ! Il faut réconcilier, pas opposer, montrer l’immense commun entre la France des bourgs et des tours. Pour des raisons morales, évidentes. Mais surtout pour des raisons électorales : on ne gagnera pas sans.

L’année d’après, [Julia] Cagé et [Thomas] Piketty, dans leur ouvrage paru au Seuil [Une histoire du conflit politique], invitent à la même chose : « La gauche doit retrouver le chemin des campagnes populaires. » Là, les cadres de LFI clarifient : c’est non ; ils misent tout sur les quartiers et la jeunesse diplômée. Tant mieux, il nous les faut. Mais les autres ?

Désormais, dans les textes de Jean-Luc Mélenchon, c’est « la nouvelle France », qui s’oppose sans doute à « la vieille France »… Depuis deux ans, LFI, c’est la stratégie [du think tank] Terra Nova avec le ton du Nouveau Parti anticapitaliste.

Voilà la ligne : se renforcer là où on est déjà forts, quitte à s’affaiblir là où on est déjà faibles… Donc, dans les quartiers, on a des députés LFI élus dès le premier tour. Bravo ! Ce sont les cadres du mouvement, qui ont hérité des meilleures circonscriptions, où la gauche fait 70 %, qui n’ont pas à mener de bagarre pour leurs sièges, et encore moins contre le RN. Et ce sont eux qui, depuis Paris, l’Ile-de-France, les grandes métropoles, édictent une stratégie perdante pour le reste du pays ! Merci !

A l’inverse, les « insoumis » vous accusent de passer sous silence le racisme sous-jacent du vote RN. Que leur répondez-vous ? Lutter contre le racisme, c’est pour moi une bataille de tous les jours, pas théorique. C’est mon laïus, mille fois répété : « Devant la justice, la police, la santé, l’éducation, qu’importe notre religion, notre couleur de peau, nous devons être tous et toutes égaux. »

Et, sur l’immigration, mon refrain quotidien : « La France doit intégrer comme elle l’a toujours fait : par la langue, par la formation, par le travail. » C’est une bagarre menée à bras-le-corps, pour que revienne l’envie de faire France ensemble.

Qui doit gouverner le pays, alors que le Nouveau Front populaire (NFP) a une très faible majorité relative ? Le président de la République a assez maltraité les institutions. Il doit permettre à la gauche de gouverner, en nommant un premier ministre issu de nos rangs. Et en demandant à ses députés macronistes de ne pas pratiquer, à l’Assemblée nationale, une opposition de principe. Il faudra ensuite des coalitions sur les textes. Mais je pose cet avertissement : il ne faudra pas gouverner comme l’a fait le chef de l’Etat ces deux dernières années, avec arrogance et toute-puissance. Il faudra le faire avec respect pour les Français, avec tendresse même. On doit prendre soin des gens pour prendre soin de la République.

Le secrétaire général de Renaissance et ministre des affaires étrangères, Stéphane Séjourné, dit que le NFP ne peut pas s’abstraire des règles démocratiques. Qu’en pensez-vous ? Par dignité, ces personnes devraient se taire : nous sommes au bord du ravin, parce que lui et les siens ont brutalisé le pays, plutôt que de l’apaiser.

Où allez-vous siéger maintenant, et souhaitez-vous être premier ministre ? Je souhaite un groupe trait d’union ; un groupe qui rassemble les communistes, les écologistes, les élus du parti Génération.s et nous.

Quant au poste de premier ministre ? Ce n’est pas le sujet. J’ai un rôle à jouer ailleurs. Le NFP doit vivre dans la société. Il nous faut désormais une force, un parti, une coopérative politique, j’en ignore la forme exacte, mais qui porte une gauche populaire qui nous a manqué, une gauche de la décence et du bon sens, une gauche généreuse et joyeuse. Une gauche qui transforme la colère en espérance.

Et pour la suite, Jean-Luc Mélenchon n’est-il pas un frein ? Bien sûr. Jean-Luc Mélenchon a remis la gauche sur ses deux jambes, et il l’a fait avancer. Mais quelle trace veut-il laisser dans l’histoire ?

[–] Camus@lemmy.ca 1 points 4 months ago
[–] Ziggurat@sh.itjust.works 2 points 4 months ago (1 children)

Quelqu'un à l'interview complète ?

il accuse son ancien parti d’avoir sciemment abandonné les campagnes populaires et les terres ouvrières, pour se concentrer uniquement sur la jeunesse et les quartiers.

Quelqu'un à la phrase complète ? C'est une critique classique (et à raison) du PS et des verts. Mais justement le NFP avait des proposition sur le smic, la fiscalité et les retraites. Et pas juste des trucs de bobo priviligié

[–] Klaq@jlai.lu 3 points 4 months ago (1 children)

Pour Ruffin, Mélenchon est dans une stratégie type Terra Nova avec une conception racialisante et identitaires de l'électorat. Le positionnement répété sur la Palestine, les choix thématiques vont plutôt en ce sens.

Ruffin a tjrs été côté terrain, fermeture usines, précarité des taffs du tertiaire, il est plus proche d'un ouvriérisme classique du PCF avec une actualisation intégrant la mondialisation, on est effectivement sur deux types de gauche difficilement compatibles. T'ajoutes à ça le côté appareil de LFI et sa gestion interne calamiteuse..

[–] Camus@lemmy.ca 2 points 4 months ago (2 children)

deux types de gauche difficilement compatibles

Tant que ça? Quand tu vois le reste des partis en place, ça semble quand même possible de s'entendre non?

[–] Ysysel@jlai.lu 3 points 4 months ago (1 children)

C'est surtout l'analyse de Ruffin (et des médias) qui est fausse. On est arrivés à un point où avoir une ligne antiraciste est interprété comme étant "racialissante et identitaire". La réalité c'est que leur travail à l'Assemblée et leur programme n'a rien à voir avec tout ça. Mais oui, LFI est clair sur l'antiracisme et ne fait aucune concession, car ils sont persuadés que combattre le racisme, c'est combattre le RN.

Et vu le programme du RN je pense qu'ils ont raison. On a bien vu que même s'ils reviennent en arrière sur le social ça ne les empêche pas de faire des scores de malade.

[–] Klaq@jlai.lu 3 points 4 months ago* (last edited 4 months ago) (1 children)

Je sais pas si elle est fausse, perso je suis plutôt d'accord avec Ruffin. LFI se sert électoralement de l'antiracisme là où il convient d'agir sur les symptômes de l'émergence du racisme en France.

Quiconque acte un racisme substantifique au français des campagnes abdique et s'installe dans le confortable et rassurant mépris qui justement est l'une des causes du problème. La gauche a abandonné une partie de la population, je comprends Ruffin qu'il oriente son combat sur sa récupération.

[–] Ysysel@jlai.lu 3 points 4 months ago

Ce n'est pas justement ce que fait Ruffin en évitant ces thématiques pour "parler aux campagnes" ?

Côté LFI et extrême gauche tu trouveras essentiellement des personnes qui ont une analyse marxiste du racisme, donc complètement l'inverse de ce que tu leur reproche (le "racisme substantifique au français des campagnes...").

La gauche historique a abandonné une partie de la population. Je ne vois pas en quoi LFI fait cela en axant sa politique sur un programme de rupture pour la répartition des richesses, le blocage des prix, la retraite, les services publiques, l'écologie, ...

Qu'est-ce que Ruffin propose de plus quand tu parles d'orienter son combat sur sa récupération ?

[–] Klaq@jlai.lu 1 points 4 months ago

Franchement, pour l'instant je vois peu de passerelles à part l'associatif et les syndicats. L'analyse matérialiste sur les conditions de vie est devenue exotique et s'est retrouvée supplantée par le succès libéral des discours d'appartenance plutôt que d'être en complémentarité (ce qu'aurait pu être une intersectionnalité).

Résultat, t'as des gauches anticapitalos limite transphobes d'un côté et des collectifs post-mo bien vénères mais sans aucune conscience de classe de l'autre.